« Lorsque l’enfant ne parait pas »*
Je dédicace cet article à toutes ces mamans qui ont perdu leur enfant avant même de le connaitre; et aux papas et tout l’entourage bien évidemment.
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Alors que je réglais une consommation dans un restaurant à la campagne, la serveuse à qui je disais qu’ils avaient eu beaucoup de monde me dit : « et encore, je n’aurai pas dû être là pour les aider. Ma mère est décédée hier donc ils auraient pu se passer de moi ! » Ennuyée et compatissante je louais donc son courage et sa conscience professionnelle. « Oui, mais je relativise, vous savez elle était malade depuis longtemps, pour moi le pire que j’ai vécu c’est quand ma fille est décédée. » La confidence inopinée de cette femme que je ne connaissais pas quelques minutes avant me troubla : est-ce que je porte sur moi le fait que je sois à l’écoute des gens ! ? En tout cas, il était difficile de rester insensible à cette douleur réactivée par le nouveau deuil qu’elle vivait. Alors, comme vous l’auriez fait, je pris quelques instants pour la laisser dire ce qu’elle ressentait tout simplement parce que je voyais que cela lui faisait du bien. En quelques mots elle me laissa comprendre qu’elle avait deux garçons et qu’elle avait perdu cette petite fille à huit mois de grossesse : et que c’était difficile de s’en remettre.
La façon dont elle avait parlé de sa fille, au tout début, m’avait laissé imaginer deux circonstances possibles de son décès : accident, maladie ; mais en aucun cas, je n’avais pensé à une mort in utero ! Je me trouvais un peu décontenancée vis-à-vis de mon a priori ! J’échangeais donc quelques paroles de soutien et de compassion.
N’étant pas en séance thérapeutique, je me permis de lui dire que je comprenais très profondément ce qu’elle ressentait dans la mesure où, j’avais vécu le même drame lorsque j’étais jeune maman. Je lui redis que c’était effectivement l’une des pires situations pour une femme que de porter un bébé mort ou qui ne pourra pas vivre !
« La femme est faite pour donner la vie, pas la mort ! » m’avait humainement dit la psychologue qui m’avait accompagnée à l’époque : c’est tellement vrai !
« Donner » la mort alors que c’est la vie que l’on souhaite, est, on ne peut plus incompréhensible et tragique.
Avoir mis tant d’espoir dans un « enfant à venir », et que cet espoir soit fauché par : un virus, une incapacité cardiaque ou respiratoire, une malformation, un accident de naissance … est carrément insoutenable.
Souvenez-vous du bouleversant chagrin intériorisé de Marcelle (Anémone) et de Pelo (Richard Bohringer), dans ce (livre et) film truculent de 1987 de Jean-Loup Hubert :« le grand chemin » : tout est enfermé, fui, triste, figé, altéré, noyé dans l’alcool jusqu’au jour où le petit Louis débarque dans leur vie pour l’été …
Alors oui, sidérés, on se replie un peu malgré la bienveillance maladroite, mais généreuse des uns ou des autres qui essaient de (se) rassurer en disant « il vaut mieux que ce soit ainsi s’il (elle) ne pouvait pas vivre ou vivre avec un handicap »… et vous qui avez envie de crier : « non non il aurait mieux valu que ce soit autrement : un bébé en bonne santé, un bébé viable, un bébé vivant ! », mais vous répondez aimablement : « oui tu as sans doute raison ! »
En même temps, ce futur petit être n’est qu’un « bébé idéal » et c’est parce qu’il ne passera pas par le monde des vivants qu’il gardera tout cet idéal ! Et faire le deuil de « l’enfant idéal » quand on enfante d’un bébé en pleine santé ce n’est déjà pas très facile, mais, faire le deuil d’un «enfant idéal mort-né » est largement supplanté par le deuil de l’enfant lui-même avec tout ce que cela comporte : choix indicible, accouchement ,mort ,traumatisme, obligation administrative, suite d’accouchement (avec un peu de (mal)chance vous entendez les nourrissons qui pleurent à côté de votre chambre) ou encore plus perfide vous ne coupez pas à une montée de lait…, incompréhension, injustice, tristesse, découragement, prise de décision quant au corps de ce petit nourrisson sans vie, no-baby-but big-blues ! Sans parler, si besoin, du commerce funéraire certainement nécessaire mais parfois un peu exagéré… et du traumatisme d’un éventuel petit cercueil blanc.
C’est douloureux !
Cela rend insomniaque !
C’est tétanisant !
C’est presque culpabilisant !
Oh que ce vide est douloureux !
C’est douloureux pour la mère, pour le père et pour tous ! Et s’il y a un frère ou une sœur alors il faut particulièrement faire attention à eux, la culpabilité pouvant s’entremêler à la tristesse !
Et puis …
Et puis, on laisse ce petit être aller à sa mort : c’est dur, mais c’est nécessaire et salutaire.
Cette douloureuse tragédie va devoir « être » acceptée et au-delà de l’expérience à surmonter il faudra être dans l’acceptation de soi *: c’est-à-dire accepter l’injustice qui est faite : une des plus grandes blessures de la vie ; en vivre le déni, la colère, la tristesse, la peur : toutes ces émotions qui en découlent et qui doivent s’extérioriser pour ne pas être refoulées !
Il n’y a pas de coupables il n’y a que de la souffrance !
En général, après l’hiver revient, tout doucement le printemps, après la colère, la paix s’immisce dans le cœur, après les larmes, les sourires renaissent timidement, et, la vie est très souvent plus forte que la mort donc on la laisse reprendre place même si l’on ne respire plus tout à fait comme avant.
On donne à cet enfant perdu une place dans la lignée familiale sans l’exagérer sans la renier : un peu à l’image de ce qui est noté dans le livret de famille : un prénom (L’inscription du (ou des) prénom(s) et du nom n’a pas d’effet juridique. Elle ne crée pas de lien de filiation.) une page à moitié remplie seulement dans la partie obscure “décès” !).
On lui attribue un “lieu de mémoire” quel qu’il soit : au travers un petit objet symbolique, ou dans un cimetière, dans un espace naturel, on peut planter un arbre, une fleur*, une étoile dans le ciel, une bougie, un ballon lâché, parfois une place dans son cœur suffit ! Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises manières de garder le souvenir d’un être cher. La date de cette naissance ne sera pas une date facile à passer, on le sait d’avance. Les années s’accumuleront, mais les souvenirs eux non, puisqu’il ne vivra pas cet enfant : ce sera “rien” dans du “vide”.
Absence ne rime pas avec oubli.
Et avec les jours meilleurs et la consolation , la résignation, l’acceptation, l’envie de renouer avec le mystère d’une nouvelle naissance peut réapparaitre, ou pas. L’accepter et laisser éclore cette décision (quelle qu’elle soit) est signe du printemps de la guérison. On peut guérir même si l’on garde une cicatrice, c’est normal. Ce qui ne l’est pas c’est de garder la plaie ouverte et de la cacher sans la soigner. Dès que l’on vous frôlera vous souffrirez davantage que si vous prenez le temps de panser (penser) la plaie !
Oui, face à la disparition trop précoce d’un petit être tout le monde est bouleversé, et c’est difficile d’en parler : c’est tellement personnel, considéré comme intime voire « tabou ».
Mais pour assimiler inacceptable, il ne faut pas minimiser la tragédie, en parler est nécessaire et il faut du temps, beaucoup de temps, et dans notre société de l’immédiateté c’est encore plus compliqué pour les jeunes parents endeuillés.
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J’ai conseillé ce livre à une de mes proches qui vient de vivre ce terrible drame de la vie de parent. Elle ne savait pas que j’avais (nous avions) vécu la même chose et m’a fait un beau compliment en me disant « tu parais tellement heureuse que je ne pensais pas que tu avais vécu ceci ! »
La plaie est cicatrisée lui ai-je dit : et si j’en parle c’est pour encourager les autres à en parler, car en tant que thérapeute on encourage chacun à mettre des mots sur les maux !
Car oui cela donne de la place au retour du bien-être voire du bonheur !
Pour aller plus loin:
Beaucoup de groupes d’échanges en ligne existent.
Quelques associations pouvant aider les parents concernés :
AGAPA :
www.agapa.fr
Accueil, écoute, accompagnement de personnes touchées par une grossesse interrompue ou la perte d’un enfant à la naissance. NAITRE et VIVRE :
www.naitre-et-vivre.org
Accompagnement des parents en deuil d’un tout petit. Information et prévention de la mort inattendue du nourrisson.
SPAMA :
www.spama.asso.fr
Soins palliatifs et accompagnement en maternité : « il ne s’agit pas d’attendre la mort, mais d’accompagner la vie, aussi courte soit-elle. »
*https://unefleurunevie.org/#home
Une fleur une vie est un événement public et artistique destiné aux personnes touchées par la perte d’un tout-petit pendant la grossesse ou autour de la naissance.
Au-delà du deuil périnatal :
https://www.sosbebe.org/ Un espace pour :écouter, informer, aider
Ecoute confidentielle, anonyme et gratuite contact@sosbebe.org
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- Je vous recommande « les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même » de Lise Bourbeau (Pocket).
- Il existe beaucoup d’autres livres, associations, sites, … qui peuvent aider : n’hésitez pas à les citer.
* POÈME LORSQUE L’ENFANT PARAÎT
(extrait du poème de Victor Hugo)
Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris ; son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,
Innocent et joyeux.
Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d’un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.
Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l’âme
Qui s’élève en priant ;
L’enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S’arrête en souriant.
> d’où le choix de mon titre: “lorsque l’enfant ne paraît pas ” !
La mortinatalité : les statistiques
Avec 9,2 naissances d’enfant sans vie pour 1000 naissances, la France détient le taux de mortinatalité le plus élevé d’Europe, indique le rapport européen sur la santé périnatale EURO-PERISTAT de 2013 . (chiffre peut-être à revoir bientôt)
Le taux de mortinatalité (enfants nés sans vie par mort fœtale spontanée ou interruption médicale de grossesse IMG) est de 8,5 pour 1 000 naissances totales en 2019. Il est en légère baisse après quatre années très stables.
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Pour aller plus près :
Plus personnellement, je vous partage mon témoignage, je l’ai rédigé dans le livre sur la fin de vie de mon père “PyLu du Boutru.” (* paru en 2020). Cela s’est passé en 1993, c’est si loin et si ancré en soi à la fois !
“… Il y a quelques 27 années*, le mois d’août avait aussi une triste résonnance.
Enceinte de 8 mois, je m’étais aperçue que les mouvements du deuxième
enfant que nous attendions s’étaient modifiés.
Ce fut tendue, intuitivement convaincue que quelque chose n’allait pas, que nous nous
rendîmes à l’échographie où je lâchai avant que ne s’allume l’affreux écran : « j’ai
l’impression que le bébé ne bouge plus. » Gel visqueux sur le vendre rebondi, sonde
faisant des aller-retours, tensions, observations, silences, soupirs, regard
compatissant et couperet du médecin : « effectivement son petit cœur ne bat plus ! »
Impensable.
Long silence sidérant.
Contre toute attente, je pense au baptême prévu dans la famille, je suis la marraine,
je ne peux pas être absente dimanche prochain. Ma terrible soif de vie, me fait
demander « comment cela va-t-il se passer ? »
– Eh bien, nous dit le gynécologue, vous allez vivre une interruption médicale de
grossesse. L’on va déclencher l’accouchement par la prise de médicaments. Vous les
prendrez quand vous le déciderez, et, votre enfant « naîtra », par voies basses.
– Ce sera donc un accouchement « normal » ?
– Oui enfin presque, on devra faire un curetage pour être sûr que tout est bien,
sous anesthésie générale.
– Et après ?
– Il vous faudra réfléchir si vous préférez le garder pour l’enterrer par exemple ou
si vous voulez qu’une autopsie soit faite pour comprendre ce qui s’est passé. Si
vous choisissez l’autopsie, elle se fera à Tours et votre enfant sera incinéré là-bas.
Cruel dilemme (qui heureusement n’est plus à faire aujourd’hui, on peut récupérer le
petit corps de cet espoir éteint après une autopsie).
Je dis que je vais, que l’on va, réfléchir à tout cela.
Il nous faut un long temps de latence avant de rentrer, l’on va marcher un peu. Comme
c’est étrange, comme ça fait mal.
Sans mon mari solide et toujours à l’écoute, je ne sais pas comment j’aurai vécu cela.
En allant l’annoncer avec douceur, à mes parents qui gardaient notre fille, je
m’aperçois que je minimise ma propre souffrance. Je me rends compte comme ils sont
forts, et, comme ils nous soutiennent.
Puis-je attendre de vivre la fête de famille dans cet état ?
La nuit qui passera me donnera bien vite la réponse.
Avoir en soi un petit Etre sans vie est une expérience indicible.
Je me souviendrai toujours des paroles de la psychologue rencontrée après
l’accouchement : « une future mère est faite pour porter la vie, pas la mort. »
En même temps, accepter de donner la vie c’est aussi accepter que cette vie se
conclura par la mort ! Mais pas si tôt pas dans ce corps, pas dans mon corps. Ce n’est
pas l’ordre des choses. C’est insoutenable.
Le baptême fut repoussé, la naissance eut lieu la nuit de la St Barthélémy : un
massacre dans l’histoire de France, un massacre dans mon for intérieur.
J’avais donc pris, assez vite, le fameux médicament. Les contractions s’étaient
déclenchées en début de nuit, ma belle-mère, aidante, était à la maison pour garder
notre petite. C’était réconfortant. Nous partîmes pour la clinique dans la salle
d’accouchement que je connaissais. Mon mari était au top, on lui demanda de sortir
au moment de l’expulsion et l’on m’endormit à ce même instant, pour le fameux
curetage, et sans doute une forme de protection psychologique !
Je me souviens de mon état vaseux en roulant dans la chambre, ma protection était
mal mise, le sang coulait, et, je me rappelle avoir dit au gynéco, que j’appréciais bien,
qu’il ne savait pas ce que c’était que de porter une protection de travers vu que c’était
un homme, que de vivre ce que je venais de vivre… il ne pouvait rien comprendre de
ce que l’on ressentait nous les femmes …
Et je refis surface, et m’excusai de ces paroles déplacées (mais révélatrices), non pas
parce qu’elles n’étaient pas vraies, mais parce qu’il m’avait accompagné en douceur
dans ce douloureux passage.
C’était une petite fille d’à peine 1,5 kilo. Avions-nous choisi son prénom ? oui, nous
avions choisi, la veille, un prénom mixte, ne cherchant pas à connaître le sexe de nos
enfants ; la déclaration serait à faire le lendemain « enfant née présentement sans
vie » serait alors écrit dans notre livret de famille. Et l’on nous demanda si nous
voulions la voir avant qu’elle ne soit transportée à Tours pour l’autopsie …
Je reverrai toujours le départ de cette ambulance emportant ce petit corps sans vie
pour aller comprendre ce qui s’était passé. J’entendrai toujours les bébés d’à côté
pleurer et se calmer dans les bras de leur Maman. La montée de lait que je fis à ce
moment-là me laissa pétrifiée… La montée de larmes me soulagea, elle !
Nous avions déjà une espiègle petite fille, cela fut notre potion magique, notre
apaisement, notre raison de sourire.
L’on apprit plusieurs semaines plus tard, que ce petit ange avait été frappé au cerveau
par un virus : le parvovirus B19. Virus qui, in utero, ne faisait pas de cadeau !
J’appris, 10 ans plus tard, de façon tout à fait inattendue que ce virus se transmettait de
la mère à l’enfant à cause d’une maladie infantile, bénigne et invisible chez l’adulte
mais terriblement ravageur pour le fœtus… A cette époque, j’enseignais en maternelle,
et il y avait beaucoup de cas de cette maladie infantile peu connue « la 5ème maladie »
porteuse du parvovirus B19 qui m’avait atteint invisiblement, sournoisement !!! Dix ans,
il nous fallut dix ans pour comprendre que la perte de ce bébé était due à la contraction
sans le savoir d’une maladie infantile. ”
Depuis la famille s’est pleinement agrandie: mais ça c’est une autre histoire.
Extrait de “PyLu du Boutru”
Merci pour votre attention et vos retours.
Sylvie ETIEVE