« Dans ma maladie, je repense à ma grand-mère qui m’a transmis beaucoup de repères. Je me souviens, petite fille, de l’avoir accompagnée à la Pitié salpêtrière et j’adorais ça. Je prenais le train avec Mémé, elle m’achetait le meilleur Paris-Brest dans la boulangerie à côté de l’hôpital. Dans la salle d’attente je lisais avec elle le nouveau livre de la collection « j’aime lire » (si je ne me trompe pas, c’est vieux !) qu’elle avait acheté. J’étais si fière de l’accompagner et je la trouvais tellement belle avec son chapeau et sa voilette, je n’ai jamais senti le moindre stress autour de sa maladie. C’est exactement ça que je dois créer avec mes enfants, créer cette atmosphère. » (mai 2019)
Voici le témoignage d’une de mes patientes -Mélody[1]– pour qui et avec qui je rédige cet article. Un vieil adage dit « un malheur n’arrive jamais seul » et pour Melody, il s’applique. En plus d’une séparation plus que compliquée, elle a perdu son papa il y a quelques mois, ils en sont encore tous bouleversés et … elle vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’une maladie grave, une tumeur[2] assez rare qui va la conduire vers une opération à haut risque de plus de huit heures.
Comment en plus de la douleur physique réussir à mettre un contexte en place le moins anxiogène possible pour ses trois enfants de 8 à 16 ans ? Quels sont les piliers qui permettent de jalonner une telle épreuve ?
« A travers cette expérience, je peux vous exprimer toute la difficulté d’être une maman solo en étant malade. En fait on pense à ses enfants avant toute chose.
Je suis très inquiète pour mes enfants et pour leur avenir.
Je ne veux pas qu’ils viennent à l’hôpital, ce n’est pas un lieu pour eux et malgré une volonté et une rage de vivre pour mes enfants, le fait d’affronter la maladie seule c’est très dur.
Je ne sais pas comment aborder le sujet avec eux je crains d’être maladroite, qu’ils aient peur car on va me raser la tête… et je ne peux le demander à leur père avec qui les relations sont très difficiles.
Je programme des vacances avec eux, leur offrir les plus belles vacances de leur vie comme s’ils n’avaient pas une maman malade.
C’est très difficile de décrire tout ceci émotionnellement car un mot revient à répétition c’est la peur.
Néanmoins j’essaie d’anticiper la suite, de supporter la douleur, tout en gardant la joie, la bonne humeur, des sorties et profiter de chaque minute, chaque instant. »
A la place de Mélody, nous aurions, en tant que parent les mêmes peurs. La peur est une émotion forte, qui ne se contrôle pas. Mais au travers des propos de cette courageuse maman on retient que le plus important c’est de prendre cette peur en considération et de voir point par point ce que l’on peut faire pour (autant que faire se peut) se rassurer et rassurer les enfants et les proches aimants.
Un soutien affectif est le premier pilier sur lequel on peut s’appuyer : la famille (même via internet qui gomme un peu la distance), des amis proches, en tout cas des personnes à qui l’on fait confiance et en qui les enfants ont confiance !
Autant Melody a apprécié les « voyages à la Salpêtrière avec sa grand-mère », autant elle ne souhaite pas que ses enfants fréquentent l’hôpital*. Chacun est libre de choisir (parfois pas) mais la piste est sans doute dans l’attitude de la grand-mère de Mélody : de la prévenance, de la douceur, de la fantaisie, de l’imaginaire, de l’humanité dans les passages parfois obligés dans ces lieux de soin pour la famille, pour les enfants. Evoquer la maladie est nécessaire, les plus jeunes parfois extrapolent (empirent parfois) il est bon de les écouter et les guider* de les rassurer, de leur parler des événements avec les vrais mots. Le « faire comme si » peut donner un peu de force mais ce n’est pas la réalité, « faire avec » est incontournable. D’ailleurs Mélody fait « avec » et c’est un formidable exemple de courage qu’elle donne aux enfants. La preuve dans un de ses messages. Mélody avait prévu de venir à une de mes balades sylviques mais suite à une nuit quasi blanche, impossible- pour elle le matin de prendre le volant, elle m’écrit:
« Pardonnez notre absence ce matin. Mon fils aîné m’a avertie qu’il vous avait prévenue pendant que je dormais. Je mets quotidiennement sur le frigo l’organisation du lendemain avec les numéros de téléphone. C’est une des nouvelles stratégies que je mets en place vu que ma tumeur influe sur la méninge gauche. J’ai eu énormément de douleur orbitaire et des migraines, et j’ai donc peu dormi. Je suis profondément navrée car j’aurais aimé à travers cette promenade que vous fassiez la connaissance de mon fils aîné. J’essaie de mettre de nouveaux repères extérieurs à mes enfants, ils doivent découvrir la beauté de la vie. J’espère que nous aurons l’occasion très vite de faire enfin cette balade. »
Acceptation de la réalité, nouvelles stratégies, responsabilisation, ouverture sur le monde, espoir, projet sont les éléments qu’utilisent avec intelligence Mélody et elle va plus loin :
« En fait j’ai peur pour leur avenir, j’ai peur qu’ils décrochent de l’école. Pour l’instant je suis dans l’anticipation de l’avenir des enfants. Je dois continuer d’assurer à emmener ma fille à la danse, trouver des concours de Belote pour mon fils aîné. Apprendre à un de mes fils à monter à cheval comme il le souhaite.
Dieu merci j’ai le soutien du Dr P. et de Monsieur B. avec qui je pratique l’EMDR[3]. J’ai pris rdv avec mon assistante sociale pour connaître mes droits niveau MDPH[4] et aussi si je pourrais bénéficier d’une aide-ménagère après l’intervention et peut être d’une aide familiale. Pour les enfants, ils acceptent le suivi avec une psychologue, nous en avons parlé samedi justement. Je leur ai expliqué les bienfaits d’avoir une personne extérieure à qui ils pourront exprimer leurs émotions. »
La deuxième piste qui émerge de la suite du témoignage de Mélody gravite autour de l’aide psychosociale : se faire accompagner par des professionnels : médecins, psychothérapeute, enseignants, assistants sociaux, éducateurs, sécu, mutuelles , organismes, associations, taxi … l’institution peut apporter des soutiens et les professionnels vont aider au fur et à mesure à trouver les mots justes pour parler de la maladie, de ses conséquences (changement d’apparence, fatigue, absence…) et des moyens de vivre avec : mettre des jolies foulards ou pourquoi pas un chapeau à voilette, apprendre à prendre soin de l’autre, avoir des personnes de références. Parler fait beaucoup de bien et permet de délester certaines angoisses. La littérature pour la jeunesse peut aider aussi[5]. Ce suivi n’enlève rien à la dureté de la maladie qui injustement s’impose, il peut permettre de canaliser une certaine colère ou de panser la tristesse qui peuvent surgir, cet accompagnement permet de surveiller, si, ne se surajoutent pas une déprime voire une dépression, surtout lorsque les enfants sont adolescents.
L’accompagnement psychosocial est un pilier lors de
ces terribles moments : mais il demande beaucoup d’énergie (et les stocks
sont plus rares) et surtout, comme Mélody le fait pour ses enfants, il faut
continuer à distiller ses propres valeurs : elles seront le socle des
futurs adultes qu’ils seront demain, j’y reviendrai.
« Je mets donc actuellement beaucoup d’organisation autour d’eux et les écoles sont informées de mon état de santé et de l’intervention pour justement repérer le moindre mal être des enfants. Ma sœur les entoure beaucoup même si ce n’est qu’à distance. Maintenant je dois avant tout trouver des solutions pour œuvrer sur l’avenir de mes enfants. Protéger leur équilibre psycho-affectif. Protéger leur patrimoine. J’ai pris rendez-vous avec mon notaire pour aussi protéger leurs intérêts, et même si je suis persuadée qu’on va s’en sortir et que nous serons grandis de cette épreuve, j’ai anticipé mes éventuelles obsèques. »[
Le cadre juridique est le troisième pilier d’une telle situation. L’aide des services légaux et administratifs s’avère nécessaire. D’autant plus quand il y a séparation des conjoints, qui plus est conflictuelle. Envisager ses obsèques, la vie de ses enfants après sa mort est certes triste mais ne fait pas mourir. Nous le savons tous, la mort est la seule issue à la vie- le plus tard est le mieux – ; mais ce sujet parfois ô combien douloureux voire tabou ne nous permet pas de l’évoquer avec sérénité. Et encore moins lorsque la maladie et les risques chirurgicaux qu’elle peut entraîner, rodent. Alors il faut redoubler de courage et pour pouvoir passer à autre chose, traiter « les situations matérielles » successivement. Faire l’inventaire de ses biens. Savoir que tous les enfants seront héritiers, même s’il en est né d’une autre union. De plus, suivant l’âge des enfants (majeurs ou mineurs), il faudra penser à désigner un tuteur aux plus jeunes. Réfléchir à faire des legs ou pas, testament ou pas, dernières volontés ou pas.
Et puis, malgré la douceur qu’on peut y mettre, parler des directives anticipées est très troublant, mais peut rassurer ou guider chacun. Surtout que les directives sont toujours modifiables[6].
Je souhaiterais revenir et terminer cet article à deux voix par un dernier pilier[7] qui de façon circulaire rejoindrait le premier pour étayer ce pont permettant de traverser cette épreuve « être maman solo et gravement malade ». Le pilier le plus impalpable : Le pilier des valeurs et des aspirations. Transmettre ses valeurs, dire ce à quoi l’on croit (pas forcément de façon spirituelle), ce qui nous parait être l’essentiel dans la vie et apprécier chacun des moments présents des plus intenses en efforts d’adaptation demandés au plus gourmand. Et pour appuyer et conclure cet article sur cette note d’amour libre de toutes frontières spatio-temporelles, je laisserai conclure Mélody qui sait si bien en parler :
« En fait y’a tellement à faire… Tellement à leur apprendre… Leur montrer que la vie est belle même s’il y a des épreuves. Leur apprendre la détermination, tout en gardant le sourire, tout en riant avec eux. Surtout par-dessus tout leur apprendre le respect d’eux-mêmes, la confiance, l’amour et l’amour de la vie.J’ai été hospitalisée en urgence, et l’on m’a parlé d’AVC ou d’hémorragie cérébrale possibles, désormais je sais que ça peut arriver, j’appréhende ce risque, alors on s’organise. Maintenant nous avons un sac tout prêt avec les vêtements des enfants en cas d’urgence médicale, les numéros à joindre sont affichés ! Ici chacun fait des efforts : joue tranquillement. Et puis … demain on va manger un méga-hamburger maison !! Mes enfants sont le sens de mon existence, ils sont la vie, l’espoir, le soleil, la joie. On n’imagine pas comme l’amour qu’on porte à nos enfants est plus fort que la douleur, plus fort que tout. Il faut tellement les aimer de façon inconditionnelle : Les aimer encore plus fort que jamais comme si demain n’existait plus.»[8]
Notes
1 : Mélody est un prénom d’emprunt pour l’article.
2 : Tumeur qui s’appelle Méningiome spheno orbitaire
3 : EMDR= Les initiales EMDR signifient eye movement desensitization and reprocessing c’est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires. http://www.emdr-france.org/web/quest-therapie-emdr/
4 : MDPH= maison départementale des personnes handicapées
5 : La psychothérapeute, Hélène Romano, explique que pour les enfants la mort est réversible, contagieuse et ne touche pas tout le monde, il faut donc prendre le temps d’expliciter ces trois points : la mort est irréversible, elle n’est pas contagieuse et elle est universelle. https://www.youtube.com/watch?v=-vEsbBF9PTY
6 : Directives anticipées : il s’agit de dire à son médecin où à ses proches ce que l’on souhaite pour sa fin de vie.
https://solidaritessante.gouv.fr/IMG/pdf/fichedirectivesanticipe_es_10p_exev2.pdf
7 : NB: cet article n’a pas pour ambition d’être exhaustif mais seulement de se baser sur un témoignage, appuyé d’une humble analyse. Je l’ai écrit suite au touchant message suivant de Mélody :
« J’ai lu beaucoup d’articles sur votre blog qui tournent autour de ce rapport parent-enfant. Ça aide tellement. Ces écrits sont précieux et peuvent aider beaucoup de lecteurs car ils sont écrits avec sincérité et ils font frissonner. Certaines personnes n’ont pas le courage de franchir la porte d’un psy ou thérapeute et vont rechercher des informations sur le net à leurs interrogations. Je le sais car malheureusement j’en vois beaucoup à travers mon travail. Et même nous simples parents, on va trouver des mots réconfortants, des solutions, des compréhensions sur nos enfants. Ça a du sens. Si vous avez besoin de moi pour votre article et même de raconter ce combat vous pouvez compter sur moi bien évidement si cela peut aider d’autres parents. Ma grand-mère était une femme merveilleuse et quelque part, vous allez lui rendre hommage. Merci pour tout. »
Nous lui avons rendu hommage, hommage que je vous rends également Mélody.
Merci à vous.
8 : Le jour (12/6/19) de la publication de cet article Mélody m’envoie ce message : « Aujourd’hui c’est une nouvelle IRM, j’y vais avec Paul mon chauffeur de Taxi. Paul accompagnait mon père pendant sa maladie. Ma fille vient avec nous ; pendant l’IRM Paul va l’emmener manger une glace. » … la boucle est bouclée.
Août 2020: j’ai revu Mélody, en forêt, dynamique, vive, positive, transformée par cette terrible expérience bien sûr mais tout en beauté. Son goût pour la vie (elle qui est passée si près de la mort: arrêt cardiaque pendant l’intervention) s’est décuplé. Son attachement est toujours là, sensible, et son envie de rendre possible son avenir est certain ! Bravo Mélody et encore merci pour ces échanges.
Voici un très bel article qui m’a fait coulé quelques larmes ( mais ça je m’en doutais). Après les larmes, je suis allée embrasser mes enfants très fort pour leur dire combien la vie était belle et combien je les aimais ! Ils ont du me trouver un peu bizarre ce matin ! Alors profitons de chaque instant de cette vie et sachons en partager tous les moments avec ceux que nous aimons. Enfin je souhaiterai dire à cette maman bon courage pour tous ces moments difficiles .Quelle force !
Merci Sylvie pour ce très beau message 😘
Merci d’avoir pris le temps de le lire et de vibrer avec notre article Pascale. Cette maman sera touchée par ces mots de réconfort.
Merci pour les encouragements.
Bonne journée “vivre au présent” est une bonne idée oui 😉 Sylvie
Merci pour ta magnifique réponse de professionnelle et de passionnée de la vie Véronique.
Ce témoignage ira droit au cœur de cette maman.
Vraiment merci.
Sylvie
Bien évidemment cet article Universel à mes yeux ne peux laisser personne indifférent. Lorsque l’On touche à la maladie et que l’On flirte avec la mort alors nous sommes là aux sources même de la vie même si cela peut paraître paradoxal. Car chacun en est conscient , On n’apprécie jamais autant qq chose à sa juste valeur que lorsque l’On risque de le perdre !
Il s’agit donc de vie, d’Amour, de Résilience, de Devoir et de Transmission
Nous ne sommes que de passage sur cette terre, Mais qu’en faisons nous ?
Qu’apprenons nous et que partageons nous avec les autres ? Cette maman se pose les questions essentielles qui permettent de rassurer mais bien plus que cela, qui permettent de grandir et de faire grandir, de booster l’autonomie de ses enfants, de son entourage tout en accomplissant le plus grand des miracles, inscrire au plus profond de leur Être que l’Amour, le vrai est plus fort que la séparation physique, qu’Il se grave à jamais au plus profond de ceux qui l’experimentent et que lui ne meurt Jamais !
Merci, Merci pour ce magnifique témoignage de VIE !
Véronique